Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/313

Cette page n’a pas encore été corrigée

éteindre d’abord, et c’est chose impossible. Mina ferma les yeux et se tut..... l’instant d’après les rouvrant plus beaux : « C’est moi qui ne l’aimerai jamais, dit-elle en m’embrassant. Quant à lui, si je voulais, monsieur, je vous prouverais peut-être… » Elle était si belle en ce moment, que je me sentis heureux, je l’avoue, malgré la constance à tout épreuve de mon ami Shetland, de le savoir à trois cents lieues de nous, occupé de trombones, de flûtes et de saxophones. Tu ne m’en voudras pas de ma franchise ?

Hélas ! et je suis seul ! et après tant de protestations, tant de serments de ne pas laisser s’écouler huit jours sans m’écrire, pas une ligne de Mina ne m’est parvenue ?

Je vois descendre un autre ballon de poste… je cours…

. . . . . Rien !…

Tu es presque heureux, toi ! Tu souffres, il est vrai, mais celle que tu aimes n’est plus ! Pas de jalousie, tu n’espères ni ne crains : tu es libre et grand. Ton amour est frère de l’art ; il appelle l’inspiration ; ta vie est la vie expansive ; tu rayonnes. Je… Oh ! mais, ne parlons plus de nous ni d’elles. Malédiction sur toutes les femmes belles… que nous n’avons pas !

Je vais essayer de reprendre mon esquisse commencée des mœurs musicales de l’Italie. Il ne s’agit ici ni de passion, ni d’imagination, ni de cœur, ni d’âme, ni d’esprit : ce sont de plates réalités. Or donc, je poursuis. Dans toutes les salles de spectacle, il y a devant la scène une noire cavité remplie de malheureux soufflant et râclant, aussi indifférents à ce qui se crie sur le théâtre qu’à ce qui se bourdonne dans les loges et au parterre, et n’ayant qu’une idée, celle de gagner leur souper. La collection de ces pauvres êtres constitue ce qu’on appelle l’orchestre, et voici comment cet orchestre est en général composé : il y a deux premiers et deux seconds violons ordinairement, très-rarement un alto et un violoncelle, presque toujours deux ou trois contre-basses, et les hommes qui en jouent, pour quelque monnaie qu’on leur donne à la fin de la soirée, sont fort embarrassés quand il s’agit d’exécuter un morceau où leurs trois cordes à vide ne peuvent être employées ; en si naturel majeur, par exemple, où les trois notes naturelles sol, ré, la,