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organisation vulgaire. Te le dirai-je ? elle préfère le chant orné aux grands élans de l’âme ; elle échappe à la rêverie ; elle entendit un jour à Paris ta première symphonie d’un bout à l’autre sans verser une larme ; elle trouve les adagios de Beethoven trop longs !…

Femelle d’homme ! ! !

Le jour où elle me l’avoua je sentis un glaçon aigu me traverser le cœur. Bien plus ! Danoise, née à Elseneur, elle possède une villa bâtie sur l’ancien emplacement et avec les saints débris du château d’Hamlet… et elle ne voit rien là d’extraordinaire… et elle prononce le nom de Shakspeare sans émotion ; il n’est pour elle qu’un poëte, comme tant d’autres… Elle rit, elle rit, la malheureuse, Ces chansons d’Ophélia, qu’elle trouve très-inconvenantes, rien de plus.

Femelle de singe !!!

Oh ! pardonne-moi, cher ; oui, c’est infâme ! mais malgré tout, je l’aime, je l’aime ; et pour dire comme Othello, que j’imiterais si elle me trompait : « Her jesses are my dearest heart strings. » Meurent la gloire et l’art !… Elle m’est tout… je l’aime....

Je crois la voir avec sa démarche ondoyante, ses grands yeux scintillants, son air de déesse ; j’entends sa voix d’Ariel, agile, argentine, pénétrante.... Il me semble être auprès d’elle ; je lui parle… dans son dialecte scandinave : « Mina ! sare disiul dolle menos ? doer si men ? doer ? vare, Mina, vare, vare ! » Puis sa tête inclinée sur mon épaule, nous murmurons doucement nos intimes confidences, et nous parlons des premiers jours, et nous parlons de toi…

Elle est très-désireuse de te connaître ; elle voudrait aller à Euphonia, pour cela seulement. On lui a tant parlé de tes étonnantes compositions. Elle se fait de toi un portrait assez étrange, et qui ne te ressemble point, fort heureusement. Je me souviens de l’intérêt avec lequel elle recueillait, avant mon départ de Paris, tous les échos de tes récents triomphes. Je l’en plaisantai même un jour ; et comme elle faisait à ce sujet une observation sur mon humeur jalouse : « Moi jaloux de Shetland, répondis-je, oh non ! Je ne crains rien ; il ne t’aimera jamais, celui-là ; il a au cœur un trop puissant amour qu’il faudrait