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nous formons même, il faut l’avouer, un très-petit fragment du peuple perdu dans la masse des nations civilisées. La gloire est un soleil qui illumine successivement certaine points de notre mesquine sphère, mais qui, en se mouvant à travers l’espace, parcourt un cercle d’une telle immensité, que la science la plus profonde ne saurait prédire avec certitude l’époque de son retour aux lieux qu’il abandonne. Ainsi, pour emprunter encore à la nature une autre comparaison, ainsi en est-il des grandes mers et de leurs mystérieuses évolutions. Si, comme il est prouvé, les continents où s’agite à cette heure la triste humanité furent jadis submergés, n’en faut-il pas conclure que les monts, les vallées et les plaines, sur lesquels roulent depuis tant de siècles les sombres vagues du vieil Océan, furent un jour couverts d’une végétation florissante, servant de couche et d’abri à des millions d’êtres vivants, peut-être même intelligents ? Quand notre tour reviendra-t-il d’être de nouveau le fond de l’abîme ?

Et le jour où cette catastrophe immense s’accomplira, y aura-t-il gloire ou puissance, feux de génie ou d’amour, force ou beauté, qui ne soient éteints et anéantis ?..... Qu’importe tout. . . . . . . .

Pardonne-moi, cher Shetland, cette digression géologique et cet accès de philosophie découragée… Je souffre, j’ai peur, j’attends, je rougis, mon cœur bat, j’interroge de l’œil tous les points de l’espace ; le ballon de la poste n’arrive pas, et celui d’hier ne m’a rien apporté. Point de nouvelles de Mina ! que lui est-il arrivé ? Est-elle malade ou morte, ou infidèle !… Je l’aime si cruellement ! nous souffrons tant, nous autres enfants de l’art aux ailes de flammes, nous, élevés sur son giron brûlant ; nous, dont les passions poétisées labourent impitoyablement le cœur et le cerveau pour y semer l’inspiration, cette âpre semence qui doit les déchirer encore quand ses germes se développeront !… Nous mourons tant de fois avant la dernière !… Shetland ! je l’aime !… je l’aime, comme tu l’aimerais toi, si tu pouvais ressentir un amour autre que celui dont tu m’as fait la confidence ! Et pourtant, malgré la grandeur et l’éclat de son talent, Mina m’apparaît souvent comme une