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n’en ont plus d’autres. J’ai eu la curiosité de questionner un operatore pour savoir pertinemment et avec détails de quelle manière se pratiquent leurs opérations, et voilà ce qu’il m’a répondu :

« Quand le directeur veut une partition nouvelle, il assemble les chanteurs pour leur soumettre le scénario de la pièce et s’entendre avec eux sur les costumes qu’ils auront à porter. Les costumes sont, en effet, la chose principale pour les chanteurs, puisque c’est la seule qui attire un instant sur eux l’attention du public le jour de la première représentation. De là surgissaient autrefois des discussions terribles entre les virtuoses chantants et les directeurs. (Les auteurs ne sont jamais admis à ces séances, ni consultés au sujet de ces débats. On leur achète un libretto comme on fait d’un pâté qu’on est libre de manger ou de jeter aux chiens après l’avoir payé.) Mais aujourd’hui les directeurs sont devenus plus raisonnables, ils ne tiennent plus à la vérité des costumes, ils ont senti qu’il ne fallait pas pour si peu mécontenter les artistes, et leur tâche se borne maintenant à les satisfaire tous à ce sujet, ce qui n’est pas aisé. On vient donc seulement, en lisant le scenario, savoir quel genre de costume les acteurs choisiront, et veiller à ce que deux d’entre eux n’aient pas l’intention de revêtir le même, car de cette coïncidence naissent souvent d’inexprimables fureurs ; et c’est alors que la position de l’impresario devient embarrassante. Ainsi, pour l’opéra nouveau Il re Murate, Cretionne, chargé du rôle de Napoléon, a voulu copier une statue antique et paraître sous la cuirasse de Pompée, un ancien général qui vécut plus de trois cents ans avant Napoléon, et qui fut tué d’un coup de canon à la bataille de Pharsale. (Tu vois que mon pauvre operatore n’est guère plus fort sur l’histoire ancienne que sur la musique.)

Mais justement Caponetti, qui joue Murat, avait la même idée, et il n’y aurait jamais eu moyen de les mettre d’accord, si Luciola, notre prima donna, n’avait proposé le grand bonnet à poil d’ours avec un panache blanc pour Napoléon, et le turban bleu avec une croix en diamants pour Murat. Ces coiffures ont plu à nos virtuoses et leur ont paru établir entre