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regards. On croit voir une troupe de diables se tordant, grimaçant, bondissant, au sifflement de tous les reptiles, au mugissement de tous les monstres, au fracas métallique de tous les tridents et de toutes les chaudières de l’enfer… On me persuadera difficilement que le peuple chinois ne soit pas fou…

Il n’y a pas de ville au monde, j’en suis convaincu, où l’on consomme autant de musique qu’à Londres. Elle vous poursuit jusque dans les rues, et celle-là n’est quelquefois pas la pire de toutes ; plusieurs artistes de talent ayant découvert que l’état de musicien ambulant est incomparablement moins pénible et plus lucratif que celui de musicien d’orchestre dans un théâtre, quel qu’il soit. Le service de la rue ne dure que deux ou trois heures par jour, celui des théâtres en prend huit ou neuf. Dans la rue, on est au grand air, on respire, on change de place et l’on ne joue que de temps en temps un petit morceau ; au théâtre, il faut souffrir d’une atmosphère étouffante, de la chaleur du gaz, rester assis et jouer toujours, quelquefois même pendant les entr’actes. Au théâtre, d’ailleurs, un musicien de second ordre n’a guère que 6 livres (150 fr.) par mois ; ce même musicien en se lançant dans la carrière des places publiques est à peu près sûr de recueillir en quatre semaines le double de cette somme, et souvent davantage. C’est ainsi qu’on peut entendre avec un plaisir très-réel, dans les rues de Londres, de petits groupes de bons musiciens anglais, blancs comme vous et moi, mais qui ont jugé à propos, pour attirer l’attention, de se barbouiller de noir. Ces faux Abyssiniens s’accompagnent avec un violon, une guitare, un tambour de basque, une paire de timbales et des castagnettes. Ils chantent de petits airs à cinq voix, très-agréables d’harmonie, d’un rhythme parfois original et assez mélodieux. Ils ont de plus une verve, une animation qui montre que leur tâche ne leur déplaît pas et qu’ils sont heureux. Et les shillings et même les demi-couronnes pleuvent autour d’eux après chacun de leurs morceaux. A côté de ces troupes ambulantes de véritables musiciens, on entend encore volontiers un bel Écossais, revêtu du curieux costume des