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madame la comtesse Rossi est supérieure à nos Esmeralda de carrefours.

D’autant plus que la jeune lady n’est peut-être point si small-footed qu’elle veut bien le faire croire, et que son pied, marque distinctive des femmes des hautes classes, pourrait bien être un pied naturel, très-plébéien, à en juger par le soin qu’elle mettait à n’en laisser voir que la pointe.

Mais je ne puis m’empêcher de regarder cette épreuve comme décisive en ce qui concerne la division de la gamme et le sentiment de la tonalité chez les Chinois. Seulement appeler musique ce qu’ils produisent par cette sorte de bruit vocal et instrumental, c’est faire du mot, selon moi, un fort étrange abus. Maintenant écoutez, messieurs, la description des soirées musicales et dansantes que donnent les matelots chinois, sur la jonque qu’ils ont amenée dans la Tamise ; et croyez-moi si vous le pouvez.

Ici, après le premier mouvement d’horreur dont on ne peut se défendre, l’hilarité vous gagne, et il faut rire, mais rire à se tordre, à en perdre le sens. J’ai vu des dames anglaises finir par tomber pâmées sur le pont du navire céleste ; telle est la force irrésistible de cet art oriental. L’orchestre se compose d’un grand tam-tam, d’un petit tam-tam, d’une paire de cymbales, d’une espèce de calotte de bois ou de grande sébile placée sur un trépied et que l’on frappe avec deux baguettes, d’un instrument à vent assez semblable à une noix de coco, dans lequel on souffle tout simplement, et qui fait : Hou ! hou ! en hurlant ; et enfin d’un violon chinois. Mais quel violon ! C’est un tube de gros bambou long de six pouces, dans lequel est planté une tige de bois très-mince et longue d’un pied et demi à peu près, de manière à figurer assez bien un marteau creux dont le manche serait fiché près de la tête du maillet au lieu de l’être au milieu de sa masse. Deux fines cordes de soie sont tendues, n’importe comment, du bout supérieur du manche à la tête du maillet. Entre ces deux cordes, légèrement tordues l’une sur l’autre, passent les crins d’un fabuleux archet qui est ainsi forcé, quand on le pousse ou le tire, de faire vibrer les deux cordes à la fois. Ces