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d’aile, cet aigle infatigable ! comme il plane et se balance dans son ciel harmonieux !… Il s’y plonge, il s’y perd, il monte, il redescend, il disparaît… puis il revient à son point de départ, l’œil plus brillant, l’aile plus forte, impatient du repos, frémissant, altéré de l’infini… Très-bien exécuté ! Qui donc a pu jouer ainsi la partie de piano ?… Mon domestique m’apprend que c’est une Anglaise. Un vrai talent, ma foi !… Aïe ! qu’est-ce que c’est ! un grand air de prima donna ?… John ! shut the door ! fermez la porte, vite, vite. Ah ! la malheureuse ! je l’entends encore. Fermez la seconde porte, la troisième ; y en a-t-il une quatrième ?… Enfin… je respire……

La cantatrice d’en bas me rappelait une de mes voisines de la rue d’Aumale, à Paris. Celle-là, s’étant mis en tête de devenir tout à fait une diva, travaillait en conséquence tant qu’elle avait la force de pousser un son, et elle est très-robuste. Un matin, une marchande de lait passant sous ses fenêtres pour se rendre au marché, entendit sa voix lancinante, et dit en soupirant : « Ah ! tout n’est pas roses dans le mariage ! » Vers le milieu de l’après-midi, repassant au même endroit pour s’en retourner, la pitoyable laitière entend encore les élans de l’infatigable cantatrice : « Ah ! mon Dieu ! s’écrie-t-elle en faisant un signe de croix, pauvre femme ! il est trois heures, et elle est en mal d’enfant depuis ce matin ! »

La transition ne sera pas trop brusque maintenant, si je vous parle des chanteurs chinois, dont vous paraissez curieux de connaître l’excentrique spécialité.

Je voulus entendre d’abord la fameuse Chinoise the small footed Lady (la dame au petit pied), comme l’appelaient les affiches et les réclames anglaises. L’intérêt de cette audition était pour moi dans la question relative aux divisions de la gamme et à la tonalité des Chinois. Je tenais a savoir si, comme tant de gens l’ont dit et écrit, elles sont différentes des nôtres. Or, d’après l’expérience concluante que j’ai faite, selon moi, il n’en est rien. Voici ce que j’ai entendu. La famille chinoise, composée de deux femmes, deux hommes et deux enfants, était assise sur un petit théâtre dans le salon de