Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/281

Cette page n’a pas encore été corrigée

russe, et qu’exécutent à Saint-Pétersbourg les chantres de la cour, avec une perfection d’ensemble, une finesse de nuances et une beauté de sons dont vous ne pouvez vous former aucune idée. Mais ceci, au lieu d’être le résultat de la puissance d’une masse de voix incultes, est le produit exceptionnel de l’art ; on le doit à l’excellence des études constamment suivies par une collection de choristes choisis.

Le chœur de la chapelle de l’empereur de Russie, composé de quatre-vingts chanteurs, hommes et enfants, exécutant des morceaux à quatre, six et huit parties réelles, tantôt d’une allure assez vive et compliqués de tous les artifices du style fugué, tantôt d’une expression calme et séraphique, d’un mouvement extrêmement lent, et exigeant en conséquence une pose de voix et un art de la soutenir fort rares, me paraît au-dessus de tout ce qui existe en ce genre en Europe. On y trouve des voix graves, inconnues chez nous, qui descendent jusqu’au contre-la, au-dessous des portées, clef de fa. Comparer l’exécution chorale de la chapelle Sixtine de Rome avec celle de ces chantres merveilleux, c’est opposer la pauvre petite troupe de racleurs d’un théâtre italien du troisième ordre à l’orchestre du Conservatoire de Paris.

L’action qu’exerce de chœur et la musique qu’il exécute, sur les personnes nerveuses, est irrésistible. A ces accents inouïs, on se sent pris de mouvements spasmodiques presque douloureux qu’on ne sait comment maîtriser. J’ai essayé plusieurs fois de rester, par un violent effort de volonté, impassible en pareil cas, sans pouvoir y parvenir.

Le rituel de la religion chrétienne grecque interdisant l’emploi des instruments de musique et même celui de l’orgue dans les églises, les choristes russes chantent en conséquence toujours sans accompagnement. Ceux de l’empereur ont même voulu éviter qu’un chef leur fût nécessaire pour marquer la mesure, et ils sont parvenus à s’en passer. S. A. I. madame la grande-duchesse de Leuchtenberg m’ayant fait un jour, à Saint-Pétersbourg, l’honneur de m’inviter à entendre une messe chantée à mon intention dans la chapelle du palais, j’ai pu juger de l’étonnante assurance avec laquelle ces choristes,