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de s’en ressentir. A l’une des premières représentations des Bardes, l’Empereur enchanté l’ayant fait venir dans sa loge après le troisième acte, lui dit : « Monsieur Lesueur, voilà de la musique entièrement nouvelle pour moi, et fort belle ; votre second acte surtout est inaccessible. » Vivement ému d’un pareil suffrage, et des cris et des applaudissements qui éclataient de toutes parts, Lesueur voulait se retirer ; Napoléon le prenant par la main le fit avancer sur le devant de sa loge, et, le plaçant à côté de lui : « Non, non, restez ; jouissez de votre triomphe ; on n’en obtient pas souvent de pareil. » Certes, en lui rendant ainsi éclatante justice, Napoléon ne fit point un ingrat ; jamais l’admiration et le dévouement d’un soldat de la garde ne surpassèrent en ferveur le culte que l’artiste a professé pour lui jusqu’au dernier moment. Il ne pouvait en parler de sang-froid. Je me souviens qu’un jour, en revenant de l’Académie, où il avait entendu amèrement critiquer la fameuse Orientale de Victor Hugo, intitulée, Lui ! il me pria de la lui réciter. Son agitation et son étonnement, en écoutant ces beaux vers, ne peuvent se rendre ; à cette strophe :

Qu’il est grand là surtout, quand, puissance brisée, Des porte-clefs anglais misérable risée, Au sacre du malheur il retrempe ses droits, Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine, Et mourant de l’exil, gêné dans Sainte-Hélène, Manque d’air dans la cage où l’exposent les rois !

n’y tenant plus, il m’arrêta ; il sanglotait.

DIMSKY.

N’est-ce pas à l’occasion de cet opéra que Napoléon envoya à Lesueur une boîte d’or… avec une inscription ?… j’ai entendu parler de cela.

MOI.

Oui, la riche boîte, que j’ai vue, porte cette épigraphe :