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mots, la main du contradicteur : « Jeune homme, lui dit-il, j’aime votre rude franchise ! » Voilà comment on reçoit la critique aujourd’hui, et pourquoi il est maintenant aisé d’exercer ce sacré ministère. Nous savons bien qu’il y a de ces rudes Francs qui l’exerceraient mieux encore, si les cinq cents ducats de l’archevêque étaient unis au magnifique éloge de l’académicien ; mais ceux-là sont par trop exigeants, et la plupart de vos confrères se contentent de la douce satisfaction que leur procure la conscience d’un devoir bien rempli ; ce qui prouve au moins qu’ils ont une conscience. Tandis qu’en voyant votre silence obstiné, on se demande si vous en avez une. » Que diriez-vous, Corsino, à des gens qui vous gratifieraient d’une telle homélie ? Vous leur répondriez sans doute comme je l’ai fait dans l’occasion : « Mes amis, vous allez trop loin. Je n’ai jamais donné à personne le droit de me soupçonner de manquer de conscience. Certes, j’en ai une, moi aussi, mais elle est bien faible, bien chétive, bien souffreteuse, par suite des mauvais traitements qu’on lui fait subir journellement. Tantôt on l’enferme, on lui interdit l’exercice, le grand air, on la condamne au silence ; tantôt on la force à paraître demi-nue sur la place publique, quelque froid qu’il fasse, et on l’oblige à déclamer, à faire la brave, à affronter les observations malséantes des oisifs, les huées des gamins et mille avanies. D’où est résulté, ce qu’on pouvait aisément prévoir, une constitution ruinée, une phthisie déjà parvenue au second degré, avec crachements de sang, étourdissements, inégalité d’humeur, accès de larmes, éclats de fureur, toux opiniâtre, enfin tous les symptômes annonçant une fin prochaine. Mais aussi, dès qu’elle sera morte, on l’embaumera d’après le procédé dont se servit Ruisch pour conserver au corps de sa fille les apparences de la vie ; je la garderai soigneusement. On pourra la voir dans ma bibliothèque, et, ma foi, alors au moins elle ne souffrira plus. »

— (Corsino.) Mon cher monsieur, pardonnez-moi de vous faire remarquer que, depuis un quart d’heure, vous divaguez autour de la question. Bien plus, vous recourez à l’ironie pour me prouver que cet arme vous est