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simple qu’en racontant des opéras où de pareils vers se sont mis, les vers se mettent dans ma prose, et que je ne parvienne ensuite qu’avec effort à me désenrimer. D’ailleurs, pourquoi me supposer capable d’ironie à l’égard des poëtes d’opéra : leurs fautes, s’ils en commettent, ne sont pas de ma compétence. Je ne suis pas un homme de lettres. Que les hommes de lettres régentent la musique, à la bonne heure ! c’est leur droit ; mais jamais, je vous le jure, il ne me viendra en tête de risquer une critique littéraire. Vous me calomniez. La crainte d’être trop fade, trop terne, trop ennuyeux, me fait seulement, ainsi que je viens de vous le dire, chercher à varier un peu la tournure de mes pauvres phrases. Surtout à certaines époques de l’année pendant lesquelles rien de ce qu’on fait ne réussit ; où, artistes et critiques semblent avoir tort de vivre ; où aucun de leurs efforts ne peut attirer l’attention ni exciter les sympathies du public ; de ce public qui, dans sa somnolence, a l’air de dire : « Que me veulent tous ces gens-là ? quel démon les possède ? Un opéra nouveau ! et d’abord est-ce qu’il y a des opéras nouveaux ? Cette forme n’est-elle pas usée, exténuée, épuisée ? Peut-il à cette heure y avoir encore en elle quelques éléments de nouveauté ? Et quand il n’en serait pas ainsi, que me font les inventions des poëtes et des musiciens ? que me font les opinions des critiques ? Laissez-moi sommeiller, braves gens, et allez dormir. Nous nous ennuyons, vous nous ennuyez ! » Ces jours-là, quand vous supposez les critiques préoccupés de malices et d’amères plaisanteries, ils sont dans le plus profond accablement, les malheureux ; la plume vingt fois prise et reprise tombe vingt fois de leur main, et ils se disent dans la tristesse de leur cœur : « Ah ! pourquoi sommes-nous si loin de Taïti, et que n’est-elle restée, cette île charmante, dans sa beauté primitive et demi-nue, au lieu de s’affubler de ridicules sacs de toile et d’apprendre à chanter la Bible d’une voix nasillarde, sur de vieux airs anglais ! Nous pourrions au moins y aller chercher un refuge contre l’ennui européen, philosopher sous les grands cocotiers avec les jeunes Taïtiennes, pêcher des perles, boire le