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poignantes impressions. Sans doute, M. Achille Paganini se réserve de les faire figurer bientôt dans une édition complète des œuvres de son père, édition qu’il a eu raison, sous un rapport, de ne point laisser paraître prématurément, car, malgré les progrès rapides que fait aujourd’hui, grâce à Paganini, l’art du violon du côté du mécanisme, de pareilles compositions sont encore inabordables pour la plupart des violonistes, et c’est à peine même si à leur lecture on comprend comment l’auteur put jamais les exécuter. Il faudrait écrire un volume pour indiquer tout ce que Paganini a trouvé dans ses œuvres d’effets nouveaux, de procédés ingénieux, de formes nobles et grandioses, de combinaisons d’orchestre qu’on ne soupçonnait même pas avant lui. Sa mélodie est la grande mélodie italienne, mais frémissante d’une ardeur plus passionnée en général que celle qu’on trouve dans les plus belles pages des compositeurs dramatiques de son pays. Son harmonie est toujours claire, simple et d’une sonorité extraordinaire.

Il a su faire ressortir et rendre dominateur le timbre du violon solo en accordant ses quatre cordes un demi-ton plus haut que celles des violons de l’orchestre ; ce qui lui permettait de jouer ainsi dans les tons brillants de ré et de la, pendant que l’orchestre l’accompagnait dans les tons moins sonores de mi bémol et de si bémol. Ce qu’il a découvert dans l’emploi des sons harmoniques simples et doubles, des notes pincées de la main gauche, dans la forme des arpéges, dans les coups d’archet, dans les passages en triple corde, passe toute croyance, d’autant plus que ses devanciers ne l’avaient pas même mis sur la voie. Paganini est de ces artistes desquels il faut dire : ils sont parce qu’ils sont, et non parce que d’autres furent avant eux. Malheureusement ce qu’il n’a pu transmettre à ses successeurs, c’est l’étincelle qui animait et rendait sympathiques ces foudroyants prodiges de mécanisme. On écrit l’idée, on dessine la forme, mais le sentiment de l’exécution ne peut se fixer ; il est insaisissable : c’est le génie, c’est l’âme, c’est la flamme de vie qui, en s’éteignant, laisse après elle des ténèbres d’autant plus profondes