Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/225

Cette page n’a pas encore été corrigée

loin ; celui-là, d’un bond, a atteint le but vers lequel marchent plus lentement tous les autres, et qui, je viens de le dire, est évidemment la destruction de la musique religieuse. Voici comment j’ai pu connaître le fond de sa pensée à cet égard : peu de temps après la mort du duc d’Orléans, j’assistais dans l’église de Notre-Dame aux obsèques de ce noble prince, objet de si vifs et de si justes regrets. La secte des puritains triomphant ce jour-là, avait obtenu que la messe entière fût chantée en plain-chant et que cette maudite tonalité moderne, dramatique, passionnée, expressive, fût radicalement prohibée. Toutefois, le maître de chapelle de Notre-Dame avait cru devoir transiger jusqu’à un certain point avec la corruption du siècle, en mettant en harmonie à quatre parties le funèbre plain-chant. Il ne s’était point senti la force de rompre tout pacte avec l’impiété. La grâce suffisante sans doute n’avait pas suffi. Quoi qu’il en soit, je me trouvais assis dans la nef, à côté de notre fougueux Mac-Briar. Tout en exécrant la musique moderne qui excite les passions, celui-ci se passionnait d’une manière divertissante pour le plain-chant qui, nous en convenons, est fort loin d’avoir un si grave défaut. Il se posséda assez bien néanmoins jusqu’au milieu de la cérémonie. Un assez long silence s’étant alors établi, et le recueillement de l’assistance étant solennel et profond, l’organiste, par mégarde, laissa tomber une clef sur son clavier ; par suite de la pression accidentelle de la clef sur une touche, un la du jeu des flûtes se fit alors entendre pendant deux secondes. Cette note isolée s’éleva au milieu du silence, et roula sous les arceaux de la cathédrale comme un doux et mystérieux gémissement. Mon homme alors, de se lever transporté, en s’écriant sans respect pour le recueillement réel de ses voisins : « C’est admirable ! sublime ! voilà la vraie musique religieuse ! voilà l’art pur dans sa divine simplicité ! Toute autre musique est infâme et impie ! »

Eh bien ! à la bonne heure, voilà un logicien. Il ne faut, selon lui, dans la musique religieuse, ni mélodie, ni harmonie, ni rhythme, ni instrumentation, ni expression, ni tonalité moderne, ni tonalité antique (celle-là rappelle la musique des