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des vents et du public, la variété incessante des goûts et de la température, les caprices infinis de la nature et de l’esprit humain, ils en sont venus à reconnaître l’immensité de leur ignorance, et que les causes, même les plus rapprochées, leur sont inconnues.

MOI.

Vous avez raison, mon cher Corsino, et je dois avouer que je suis de ces savants-là. J’ai cru quelquefois apercevoir au ciel un astre nouveau dont les proportions et l’éclat me paraissaient considérables, et je me suis vu nier, non-seulement l’importance, mais l’existence même de Neptune. Puis, quand je disais : « La lune est un des moindres corps célestes, c’est son extrême rapprochement de la terre qui fait lui attribuer un volume qu’elle n’a point. Sirius, au contraire, est un astre immense. Que parlez-vous de Sirius, me répondait-on, qui ne tient au ciel que la place d’une tête d’épingle ! nous aimons bien mieux notre lune majestueuse. »

En suivant à la piste ce raisonnement, j’en suis venu à trouver des gens qui préféraient à la lune un réverbère au gaz, et au réverbère la lanterne du chiffonnier.

Et voilà pourquoi il n’y a pas une seule production de l’esprit humain, une seule, entendez-vous, qui réunisse, je ne dirai pas tous les suffrages de l’humanité, mais seulement tous ceux de l’imperceptible fraction de l’humanité à laquelle elle s’adresse exclusivement. Combien peut contenir la plus vaste salle de spectacle aujourd’hui ? deux mille personnes à peine, et la plupart des théâtres en contiennent beaucoup moins. Eh bien ! est-il jamais arrivé, une excellente exécution étant donnée, à cinq cents personnes seulement réunies dans un théâtre, de s’accorder sur le mérite de Shakspeare, de Molière, de Mozart, de Beethoven, de Gluck ou de Weber ? J’ai vu siffler le Bourgeois gentilhomme par les étudiants à l’Odéon. On sait quels combats furent livrés au Théâtre-Français au sujet de la traduction de l’Othello de Shakspeare par A. de Vigny ; quelles huées accueillirent Il Barbiere de Rossini à Rome, le Freyschutz à Paris. Je n’ai pas