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savamment opposé à celui des instruments à cordes. Le rôle, nouveau autant qu’important, confié par le compositeur aux altos, tantôt pris en masse, tantôt divisés, comme les violons, en premiers et seconds, contribue beaucoup aussi à la caractériser. L’accentuation fréquente des temps faibles de la mesure, des dissonnances détournées de leur voie de résolution dans la partie qui les a fait entendre et se résolvant dans une autre partie, des dessins de basses arpégés largement dans toutes sortes de formes, ondulant majestueusement sous la masse instrumentale, l’emploi modéré mais excessivement ingénieux des trombones, trompettes, cors et timbales, l’exclusion presque absolue des notes extrêmes de l’échelle aiguë des petites flûtes, hautbois et clarinettes, donnent à l’orchestre des grands ouvrages de Spontini une physionomie grandiose, une puissance, une énergie incomparables, et souvent une poétique mélancolie.

Quant aux modulations, Spontini fut le premier qui introduisit hardiment dans la musique dramatique celles dites étrangères au ton principal, et les modulations enharmoniques. Mais si elles sont assez fréquentes dans ses œuvres, au moins sont-elles toujours motivées et présentées avec un art admirable. Il ne module pas sans motifs plausibles. Il ne fait point comme ces musiciens inquiets et à la veine stérile qui, las de tourmenter inutilement une tonalité sans y rien trouver, en changent pour voir s’ils seront plus heureux dans une autre. Quelques-unes des modulations excentriques de Spontini sont, au contraire, des éclairs de génie. Je dois mettre en première ligne, parmi celles-là, le brusque passage du ton de mi bémol à celui de ré bémol, dans le chœur des soldats de Cortez : « Quittons ces bords, l’Espagne nous rappelle. » A ce revirement inattendu de la tonalité, l’auditeur est impressionné tout d’un coup de telle sorte, que son imagination franchit d’un bond un espace immense, qu’elle vole, pour ainsi dire, d’un hémisphère à l’autre, et qu’oubliant le Mexique, elle suit en Espagne la pensée des soldats révoltés. Citons encore celle qu’on remarque dans le trio des prisonniers du même opéra, où à ces mots :