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né soixante-douze ans auparavant ; il s’y repose quelques semaines en méditant sur les longues agitations de sa brillante, mais orageuse carrière, et s’y éteint tout d’un coup, comblé de gloire et couvert des bénédictions de ses compatriotes. Le cercle était fermé ; sa tâche était finie.

Malgré l’honorable inflexibilité de ses convictions d’artiste et la solidité des motifs de ses opinions, Spontini, quoi qu’on en ait dit, admettait jusqu’à un certain point la discussion ; il y portait ce feu qu’on retrouve dans tout ce qui est sorti de sa plume, et se résignait néanmoins, parfois avec assez de philosophie, quand il était à bout d’arguments. Un jour qu’il me reprochait mon admiration pour une composition moderne dont il faisait peu de cas, je parvins à lui donner d’assez bonnes raisons en faveur de cette œuvre d’un grand maître qu’il n’aimait point. Il m’écouta d’un air étonné ; puis, avec un soupir, il répliqua en latin : Hei mihi, qualis est ! ! ! Sed de gustibus et coloribus non est disputandum. Il parlait et écrivait aisément la langue latine, qu’il employait souvent dans sa correspondance avec le roi de Prusse.

On l’a accusé d’égoïsme, de violence, de dureté ; mais, en considérant les haines incessantes auxquelles il s’est trouvé en butte, les obstacles qu’il a dû vaincre, les barrières qu’il a dû forcer, et la tension que cet état de guerre continuel devait produire dans son esprit, il est peut-être permis de s’étonner qu’il soit demeuré sociable autant qu’il l’était : surtout si l’on tient compte de l’immense valeur de ses créations ; et de la conscience qu’il en avait, mises en regard de l’infirmité de la plupart de ses adversaires et du peu d’élévation des motifs qui les guidaient.

Spontini fut avant tout et surtout, un compositeur dramatique dont l’inspiration grandissait avec l’importance des situations, avec la violence des passions qu’il avait à peindre. De là le pâle coloris de ses premières partitions, écrites sur de puérils et vulgaires livrets italiens ; l’insignifiance de la musique qu’il appliqua au genre plat, mesquin, froid et faux dont l’opéra-comique de Julie est un si parfait modèle ; de là le mouvement ascendant de sa pensée sur les deux belles scènes de