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Cortez, on nous voit ainsi enfiévrés et palpitants. Ne vous gênez pas, nous nous livrons à vous sans défense : abusez de notre impressionnabilité ; nous apporterons des sels, il y aura des médecins dans la salle pour juger le point auquel l’ivresse musicale peut être poussée sans danger pour la vie humaine.

Ah ! pauvres gens, nous vous aurions bientôt prouvé, je le crains, que vos efforts sont vains, que la raison nous reste, et que notre main ne tremble pas en promenant le scalpel sur toutes les parties de votre œuvre pour y constater l’absence du cœur. . . . . . . . . . . .

Après une des dernières représentations de Cortez à Paris, j’écrivis à Spontini la lettre suivante, qui le fit un peu sortir, quand il la lut, de son apparente froideur habituelle.

« CHER MAITRE,

»Votre œuvre est noble et belle, et c’est peut-être aujourd’hui, pour les artistes capables d’en apprécier les magnificences, un devoir de vous le répéter. Quels que puissent être à cette heure vos chagrins, la conscience de votre génie et de l’inappréciable valeur de ses créations vous les fera aisément oublier.

»Vous avez excité des haines violentes, et, à cause d’elles, quelques-uns de vos admirateurs semblent craindre d’avouer leur admiration. Ceux-là sont des lâches ! J’aime mieux vos ennemis.

»On a donné hier Cortez à l’Opéra. Tout brisé encore par le terrible effet de la scène de la révolte, Je viens vous crier : Gloire ! gloire ! gloire et respect à l’homme dont la pensée puissante, échauffée par son cœur, a créé cette scène immortelle ! Jamais, dans aucune production de l’art, l’indignation sut-elle trouver de pareils accents ? Jamais enthousiasme guerrier fut-il plus brûlant et plus poétique ? A-t-on quelque part montré sous un pareil jour, peint avec de telles couleurs, l’audace et la volonté, ces fières filles du génie ? — Non ! et personne ne le croit.