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Vainement demandait-on quelquefois chez quel épicier Spontini avait plus tard acheté la partition de Fernand Cortez qui n’est pas, on le sait, sans mérite ; nul n’a jamais pu le savoir. Que de gens pourtant à qui l’adresse de ce précieux négociant eût été bonne à connaître, et qui se fussent empressés d’aller chez lui à la provision : ce doit être le même assurément qui vendit à Gluck sa partition d’Orphée et à J. J. Rousseau son Devin du village. (Ces deux ouvrages de mérites si disproportionnés ont été également contestés à leurs auteurs.)

Mais trêve à ces incroyables folies : personne ne doute que la rage envieuse ne puisse produire, chez les malheureux qu’elle dévore, un état voisin de l’imbécillité.

Maître d’une position disputée avec tant d’acharnement, et connaissant enfin sa force, Spontini se disposait à entreprendre une autre composition dans le style antique. Il s’agissait d’une Électre ; quand l’empereur lui fit dire qu’il le verrait avec plaisir prendre pour sujet de son nouvel ouvrage la conquête du Mexique par Fernand Cortez. C’était un ordre auquel le compositeur s’empressa d’obéir. Néanmoins, la tragédie d’Électre l’avait profondément impressionné : la mettre en musique était un de ses plus chers projets, et je l’ai souvent entendu exprimer le regret de l’avoir abandonné.

Je crois pourtant que le choix de l’empereur fut un bonheur pour l’auteur de la Vestale, en ce qu’il le détourna de faire une seconde fois de l’antique et l’obligea, au contraire, à chercher pour des scènes tout aussi émouvantes, mais plus variées et moins solennelles, ce coloris étrange et charmant, cette expression si fière et si tendre, et ces heureuses hardiesses qui font de la partition de Cortez la digne émule de sa sœur aînée. Le succès du nouvel opéra fut triomphal. Spontini, à partir de ce jour, resta le maître de notre première scène lyrique, et dut s’écrier comme son héros :

Cette terre est à moi, je ne la quitte plus !

On m’a souvent demandé lequel des deux premiers grands opéras de Spontini je préférais, et j’avoue qu’il m’a toujours été impossible de répondre. Cortez ne ressemble à la Vestale