Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/193

Cette page n’a pas encore été corrigée

soutenus, les autres en trémolo, versent à torrents continus les stridents accords de la péroraison ; c’est là le point culminant de ce crescendo qui s’est échauffé en grandissant pendant toute la seconde moitié du second acte, et auquel, à mon sens, aucun autre n’est comparable pour son immensité et la lenteur formidable de son progrès. Pendant les grandes exécutions de cette scène olympienne au Conservatoire et à l’Opéra de Paris, tout frémit, le public, les exécutants, l’édifice lui-même qui, métallisé de la base au faîte, semble comme un gong colossal, projeter de sinistres vibrations. Les moyens des petits théâtres semblables au vôtre, messieurs, sont insuffisants à produire cet étrange phénomène.

Remarquez maintenant, au sujet de la disposition des voix d’hommes dans cette stretta sans pareille, que loin d’être une maladresse et une pauvreté, ainsi qu’on l’a prétendu, le morcellement des forces vocales a été là profondément calculé. Les ténors et les basses sont, au début, divisés en six parties, dont trois seulement se font entendre à la fois ; c’est un double chœur dialogué. Le premier chœur chante trois notes que le second répète immédiatement, de manière à produire une incessante répercussion de chaque temps de la mesure, et sans qu’il y ait jamais, par conséquent, plus d’une moitié des voix d’hommes employées à la fois. Ce n’est qu’à l’approche du fortissimo que toute cette masse se réunit en un seul chœur ; c’est au moment où, l’intérêt mélodique et l’expression passionnée ayant atteint leur plus haute puissance, le rhythme haletant a besoin de nouvelles forces pour lancer les déchirantes harmonies dont le chant des femmes est accompagné. C’est la conséquence du vaste système de crescendo adopté par l’auteur et dont le terme extrême se trouve, je l’ai déjà dit, à l’accord dissonnant qui éclate quand le pontife jette sur la tête de Julia le fatal voile noir. C’est une admirable combinaison, au contraire, pour laquelle il n’y a pas assez d’éloges et dont il n’était permis de méconnaître la valeur qu’à un demi-quart de musicien, comme celui qui la blâmait. Mais il est naturel à la critique ainsi dirigée de bas en haut, de faire aux hommes exceptionnels qu’elle se permet de