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dans un siècle de miracles comme celui de Napoléon. Je concentrerai dans trois heures toute la vitalité de vingt ans d’existence… après quoi… j’irai… ruminer mon bonheur dans l’éternité. »

Deux jours après, à dix heures du soir, une détonation se fit entendre au coin de la rue Rameau, en face de l’entrée de l’Opéra. Des domestiques en riche livrée accoururent au bruit et relevèrent un homme baigné dans son sang qui ne donnait plus signe de vie. Au même instant, une dame qui sortait du théâtre, s’approchant pour demander sa voiture, reconnut le visage sanglant d’Adolphe, et s’écria : « Oh ! mon Dieu, c’est le malheureux jeune homme qui me poursuit depuis Marseille ! » Hortense (car c’était elle) avait instantanément conçu la pensée de faire ainsi tourner au profit de son amour-propre, la mort de celui qui l’avait froissée par un si outrageant abandon. Le lendemain, on disait au club de la rue de Choiseul : « Cette madame N*** est vraiment une femme délicieuse ! à son dernier voyage dans le Midi, un Provençal en est devenu tellement fou, qu’il l’a suivie jusqu’à Paris, et s’est brûlé la cervelle à ses pieds, hier soir, à la porte de l’Opéra. Voilà un succès qui la rendra encore cent fois plus séduisante. »

Pauvre Adolphe !…


« Le diable m’emporte, dit Moran, si Corsino en peignant son Provençal, ne nous a pas fait son propre portrait ! — C’est ce que je pensais tout à l’heure, en l’écoutant réciter la lettre d’Adolphe. Vous lui ressemblez, mon cher, dis-je à Corsino. »

Celui-ci nous jette un singulier regard… baisse les yeux et part sans répondre.