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de l’Opéra, ces chœurs si nombreux, si puissants, entendre madame Branchu dans la Vestale… Un feuilleton de Geoffroy, qu’il lut en arrivant à Lyon, vint exaspérer encore son impatience. Contre l’ordinaire du célèbre critique, il n’avait eu que des éloges à donner.

« Jamais, disait-il, la belle partition de Spontini n’a été rendue avec un pareil ensemble par les masses, ni avec une inspiration aussi véhémente par les acteurs principaux. Madame Branchu, entre autres, s’est élevée au plus haut degré du pathétique ; cantatrice habile, douée d’une voix incomparable, tragédienne consommée, elle est peut-être le sujet le plus précieux dont ait pu s’enorgueillir l’Opéra depuis sa fondation ; n’en déplaise aux partisans exclusifs de la Saint-Huberti. Madame Branchu est petite, malheureusement ; mais le naturel de ses poses, l’énergique vérité de ses gestes et le feu de ses yeux, font disparaître ce défaut de stature ; et dans ses débats avec les prêtres de Jupiter, l’expression de son jeu est si grandiose, qu’elle semble dominer le colosse Dérivis de toute la tête. Hier, un entr’acte fort long a précédé le troisième acte. La raison de cette interruption insolite dans la représentation, était due à l’état violent où le rôle de Julia et la musique de Spontini avaient jeté la cantatrice. Dans la prière (O des infortunés), sa voix tremblante indiquait déjà une émotion qu’elle avait peine à maîtriser, mais au finale (De ces lieux prêtresse adultère), son rôle, tout de pantomime, ne l’obligeant pas aussi impérieusement à contenir les transports qui l’agitaient, des larmes ont inondé ses joues, ses gestes sont devenus désordonnés, incohérents, fous, et, au moment où le pontife lui jette sur la tête l’immense voile noir qui la couvre comme un linceul, au lieu de s’enfuir éperdue, ainsi qu’elle l’avait fait jusqu’alors, madame Branchu est tombée évanouie aux pieds de la grande Vestale. Le public, qui prenait cela pour de nouvelles combinaisons de l’actrice, a couvert de ses acclamations la péroraison de ce magnifique finale ; chœurs, orchestre, tam-tam, Dérivis, tout a disparu sous les cris du parterre. La salle était en ébullition. »