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de la gracieuse fée, causaient à Adolphe une sorte d’asphyxie d’étonnement, la nature impressionnable de celui-ci, sa vive sensibilité, les expressions pittoresques, dont il se servait, leur exagération même, ne frappèrent pas moins vivement Hortense.

Il y avait si loin des suffrages passionnés, des joies vraies de l’artiste, aux bravos tièdes et étudiés des incroyables de Paris, que l’amour-propre tout seul aurait suffi pour faire regarder sans trop de rigueur, un homme d’un extérieur moins avantageux que notre héros. L’art et l’enthousiasme se trouvaient en présence pour la première fois ; le résultat d’une pareille rencontre était facile à prévoir… Adolphe, ivre d’amour, ne cherchant ni à cacher ni même à modérer les élans de sa passion toute méridionale, désorienta Hortense et déjoua ainsi, sans s’en douter, le plan de défense médité par la coquette. Tout cela était si neuf pour elle ! Sans sentir réellement rien qui approchât de la dévorante ardeur de son amant, elle comprenait cependant qu’il y avait là tout un monde de sensations (sinon de sentiments), que de fades liaisons contractées antérieurement ne lui avaient jamais dévoilés. Ils furent heureux ainsi, chacun à sa manière, pendant quelques semaines ; le départ pour Paris fut, on le pense bien, indéfiniment ajourné. La musique était pour Adolphe un écho de son bonheur profond, le miroir où allaient se réfléchir les rayons de sa délirante passion, et d’où ils revenaient plus brûlants à son cœur. Pour Hortense, au contraire, l’art musical n’était qu’un délassement sur lequel elle était blasée dès longtemps ; il ne lui procurait que d’agréables distractions, et le plaisir de briller aux yeux de son amant était bien souvent le mobile unique qui pût l’attirer au piano.

Tout entier à sa rage de bonheur, Adolphe, dans les premiers jours, avait un peu oublié le fanatisme qui jusqu’alors avait rempli sa vie. Quoiqu’il fût loin de partager les opinions parfois étranges de madame N***, sur le mérite des différentes compositions qui formaient son répertoire, il lui faisait néanmoins d’étonnantes concessions, évitant, sans trop savoir