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ou l’indignation faisait battre son cœur ; une tournure distinguée et des manières fort différentes de celles qu’on aurait pu lui supposer, à lui qui n’avait guère vu le monde que par le trou de la toile de son théâtre ; un caractère emporté et timide à la fois, où se rencontrait le plus singulier assemblage de raideur et de grâce, de patience et de brusquerie, de jovialité subite et de rêverie profonde, en faisaient, par tout ce qu’il y avait en lui d’imprévu, l’homme le plus capable d’enlacer une coquette dans ses propres filets. C’est ce qui arriva, sans préméditation aucune de la part d’Adolphe pourtant ; car il fut pris avant elle. Dès la première leçon, la supériorité musicale de madame N*** se montra dans tout son éclat ; au lieu de recevoir des conseils, elle en donna presque à son maître. Les sonates de Steibelt, le Hummel du temps, les airs de Païsiello et de Cimarosa qu’elle couvrait de broderies parfois d’une audacieuse originalité, lui fournirent l’occasion de faire scintiller successivement chacune des facettes de son talent. Adolphe pour qui une telle femme et une pareille exécution étaient choses nouvelles, fut bientôt complétement sous le charme. Après la grande fantaisie de Steibelt (l’Orage,) où Hortense lui sembla disposer de toutes les puissances de l’art musical :

« Madame, lui dit-il en tremblant d’émotion, vous vous êtes moquée de moi en me demandant des leçons ; mais comment pourrais-je vous en vouloir d’une mystification qui m’a ouvert à l’improviste le monde poétique, le ciel de mes songes d’artiste, en faisant de chacun de mes rêves autant de brillantes réalités ? Continuez à me mystifier ainsi, madame, je vous en conjure, demain, après-demain, tous les jours, et je vous devrai les plus enivrantes jouissances qu’il m’ait été donné de connaître de ma vie. »

L’accent avec lequel ces paroles furent dites par D***, les larmes qui roulaient dans ses yeux, le spasme nerveux qui agitait ses membres, étonnèrent Hortense bien plus encore que son talent à elle n’avait surpris le jeune artiste. Si les arpéges, les traits, les harmonies pompeuses, les mélodies découpées en dentelle, en naissant sous les blanches mains