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camarades se récrier d’admiration : « Imbéciles ! pensait-il sans doute, vous êtes bien capables de concevoir un tel ouvrage, vous qui admirez les Prétendus. »

Ceux-ci ne doutaient pas, à cette expression d’ironie empreinte sur les traits de D***, qu’il ne fût aussi sévère pour Spontini qu’il l’avait été pour Lemoine, et qu’il ne confondît les deux compositeurs dans la même condamnation. Le finale du second acte l’ayant ému cependant jusqu’aux larmes, un jour que l’exécution était un peu moins exécrable que de coutume, on ne sut plus que penser de lui. « Il est fou, disaient les uns. — C’est une comédie qu’il joue, » disaient les autres. Et tous : « C’est un pauvre musicien. » D***, immobile sur sa chaise, plongé dans une rêverie profonde, essuyant furtivement ses yeux, ne répondait mot à toutes ces impertinences ; mais un trésor de mépris et de rage s’amassait dans son cœur. L’impuissance de l’orchestre, celle plus évidente encore des chœurs, le défaut d’intelligence et de sensibilité des acteurs, les broderies de la première chanteuse, les mutilations de toutes les phrases, de toutes les mesures, les coupures insolentes, en un mot les tortures de toute espèce qu’il voyait infliger à l’œuvre devenue l’objet de sa profonde adoration et dont il possédait les moindres détails, lui faisaient éprouver un supplice que je connais fort bien, mais que je ne saurais décrire. Après le second acte, la salle entière s’étant levée un soir en poussant des cris d’admiration, D*** sentit la fureur le submerger, et, comme un habitué du parquet lui adressait, plein de joie, cette question banale :

« Eh bien, monsieur Adolphe, que dites-vous de cela ?

— Je dis, lui cria D*** pâle de colère, que vous et tous ceux qui se démènent dans cette salle, êtes des sots, des ânes, des brutes, dignes tout au plus de la musique de Lemoine, puisque, au lieu d’assommer le directeur, les chanteurs et les musiciens, vous prenez part, en applaudissant, à la plus indigne profanation dont on puisse flétrir le génie. »

Pour cette fois, l’incartade était trop forte, et, malgré le talent d’exécution du fougueux artiste, talent qui faisait de