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rendait les dilettanti de chaque province jaloux de connaître cette partition tant vantée par les Parisiens, et les malheureux directeurs de théâtre s’évertuaient à tourner, sinon à vaincre les difficultés d’exécution et de mise en scène du nouvel ouvrage.

Le directeur de D***, ne voulant pas rester en arrière du mouvement musical, annonça bientôt à son tour que la Vestale était à l’étude. D***, exclusif comme tous les esprits ardents auxquels une éducation solide n’a pas appris à motiver leurs jugements, montra d’abord une prévention défavorable à l’opéra de Spontini, dont il ne connaissait pas une note. « On prétend que c’est un style nouveau, plus mélodique que celui de Gluck : tant pis pour l’auteur ! la mélodie de Gluck me suffit ; le mieux est ennemi du bien. Je parie que c’est détestable. »

Ce fut en pareilles dispositions qu’il arriva à l’orchestre le jour de la première répétition générale. Comme chef de pupitre, il n’avait pas été tenu d’assister au répétitions partielles qui avaient précédé celle-là ; et les autres musiciens, qui, tout en admirant Lemoine, trouvaient néanmoins du mérite à Spontini, se dirent a son arrivée : « Voyons ce que va décider le grand Adolphe ! » Celui-ci répéta sans laisser échapper un mot, un signe d’admiration ou de blâme. Un étrange bouleversement s’opérait en lui. Comprenant bien, dès la première scène, qu’il s’agissait là d’une œuvre haute et puissante, que Spontini était un génie dont il ne pouvait méconnaître la supériorité, mais ne se rendant pas compte cependant de ses procédés, tout nouveaux pour lui, et qu’une mauvaise exécution de province rendait encore plus difficile à saisir, D*** emprunta la partition, en lut d’abord attentivement les paroles, étudia l’esprit, le caractère de chaque personnage, et, se jetant ensuite dans l’analyse de la partie musicale, suivit ainsi la route qui devait l’amener à une connaissance véritable et complète de l’opéra entier. Depuis lors, on observa qu’il devenait de plus en plus morose et taciturne, éludant les questions qui lui étaient adressées, ou riant d’un air sardonique quand il entendait ses