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(Le ministre ému) : « Mon enfant, tu as peut-être raison ; j’ignorais la plupart des détails que tu viens de me donner. J’y réfléchirai, et je tâcherai que tu sois au moins l’égale des savetiers à l’avenir. Ceci me paraît de toute justice, mais ne se rattache qu’au côté matériel de la question. Quant à l’autre, quant au côté moral, esthétique, comme disent tes chers Allemands, n’oublie pas ceci : le temps viendra peut-être où de folles volontés, où d’absurdes caprices ne te seront plus imposés ; où tes intendants comprendront réellement tes intérêts et s’attacheront à leur défense ; où tes directeurs de conscience ne t’infligeront plus de pénitences humiliantes et ridicules ; où tu ne seras plus forcée de cohabiter avec tes mortels ennemis ; où des gens à gages ne feront plus dans tes théâtres l’office du public ; où ce public que tu décourages et dégoûtes peut-être aujourd’hui, te témoignera une sympathie chaleureuse ; mais, en attendant, change d’allures, de société autant que tu pourras, de manières et de langage tout à fait. N’oublie pas que c’est une erreur grossière de croire les efforts disgracieux, les cris, les violences, le désordre rhythmique, le vague de la forme, l’incorrection du dessin, les outrages à l’expression et à la langue, l’abus des ornements, le fracas, la boursouflure ou la mignardise, seuls capables d’émouvoir une salle pleine même de spectateurs vulgaires. Ceux-là sont fréquemment entraînés, il est vrai, par des moyens que réprouvent le bon sens et le goût, mais ils ne résistent guère non plus à l’influence d’une inspiration véritable, quand elle se manifeste simplement, avec grandeur et énergie ; ils ne t’en voudront pas trop d’être sublime. Peut-être, désappointés le premier jour, étonnés le second, charmés le troisième, ils finiront bientôt par t’en savoir un gré infini. N’avons-nous pas vu déjà, ne le voyons-nous pas même encore dans de trop rares occasions, ce public qui, après tout, n’est pas composé exclusivement de ces spectateurs tant méprisés par le poëte, applaudir de toutes ses forces et de tout son cœur des œuvres vraiment belles, des virtuoses d’un merveilleux talent ? Non, de ce côté, tu n’as rien à craindre ; l’éducation des habitués de tes théâtres est