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remplissant des fonctions auxquelles ils sont si complétement impropres ; d’autres enfin, qui vous adoraient autrefois, vous haïssent et vous méprisent maintenant, parce qu’ils vous connaissent trop. Fi ! vous êtes une prostituée sans esprit ! une vraie fille d’Opéra, une fille d’affaires, comme disait Voltaire, mais sans entente des affaires pourtant ; absurde dans le choix de ses intendants, et d’une confiance en eux voisine de la stupidité. Que diriez-vous si un État comme l’Angleterre, par exemple, allait confier le commandement de son armée navale à un danseur parisien qui n’a jamais vu manœuvrer que les toiles et les cordages d’un théâtre, ou à un paysan bourguignon incapable de diriger une toue sur la Saône ?… Assez ! assez ! ne nous approchez pas ; vos sollicitations nous obsèdent ; si vous étiez ce que vous devriez être, sensible, intelligente, passionnée, dévouée, enthousiaste, fière et courageuse ; si vous aviez remis énergiquement tous ces gens-là à leur place et mieux gardé la vôtre ; si vous aviez conservé quelque chose de votre extraction noble ; si la princesse se révélait encore en vous, les rois pourraient vous venir en aide, vous recueillir à leur cour ; mais ce n’est pas chez eux qu’est l’asile destiné aux créatures de votre espèce. Vous n’avez déjà plus la séduction des charmes vulgaires. Pâle et ridée, vous en êtes venue à vous peindre le visage en bleu, en blanc et en rouge, comme une sauvagesse. Bientôt, vous vous barbouillerez de noir les paupières et vous porterez des anneaux d’or au nez. Votre talent a subi la même métamorphose. Vous ne vocalisez plus, vous vociférez. Qu’est-ce que ces manières de pousser la voix sur chaque note, de s’arrêter en hurlant sur l’avant-dernier temps de chaque période mélodique, quels que soient la syllabe sur laquelle il repose, le sens du morceau, le mouvement imprimé à l’ensemble et l’intention de l’auteur ? Qu’est-ce que ces libertés que vous prenez avec les plus beaux textes, en supprimant les notes hautes et les notes basses, pour forcer toute mélodie à rouler sur les cinq ou six sons du médium de votre voix, sons que vous gonflez alors à perdre haleine, et qui font ressembler le chant et la mélodie actuels aux lamentables chansons des rôdeurs de barrières, aux