Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/141

Cette page n’a pas encore été corrigée


Je reprends mon triste récit.

Les directeurs de notre Opéra de Paris, parmi lesquels on a pu compter des gens d’intelligence et d’esprit, ont de tout temps été choisis parmi les hommes qui aimaient et connaissaient le moins la musique. Nous en avons eu même qui l’exécraient tout à fait. L’un d’eux m’a dit, parlant à ma personne, que toute partition âgée de vingt ans était bonne à brûler ; que Beethoven fut un vieil imbécile, dont une poignée de fous affecte d’admirer les œuvres, mais qui, en réalité, ne fit jamais rien de supportable.

Les musiciens avec explosion :..... !..... ! !… ! ! ! (et autres exclamations qui ne s’écrivent point). Une musique bien faite, disait un autre, est celle qui dans un opéra ne gâte rien. Il n’est pas étonnant alors que de tels directeurs ne sachent comment s’y prendre pour faire marcher leur immense machine musicale, et qu’ils traitent en toute occasion si cavalièrement les compositeurs dont ils croient n’avoir pas ou n’avoir plus besoin. Spontini, dont les deux chefs-d’œuvre la Vestale et Cortez, ont suffi pour alimenter le répertoire de l’Opéra pendant vingt-cinq ans, fut, sur la fin de sa vie, mis véritablement à l’index dans ce théâtre, et ne put jamais parvenir à obtenir une audience du directeur. Rossini aurait le plaisir, s’il revenait en France, de voir sa partition de Guillaume Tell entièrement bouleversée et réduite d’un tiers. Pendant longtemps, on a joué à sa barbe la moitié du 4e acte de Moïse, pour servir de lever de rideau avant un ballet. De là cette charmante repartie qu’on lui attribue. Rencontrant un jour le directeur de l’Opéra, celui-ci l’aborde avec ces mots : « Eh bien, cher maître, nous jouons demain le 4e acte de votre Moïse. — Bah ! tout entier ? » réplique Rossini.

L’exécution et les mutilations qu’on inflige de temps en temps au Freyschutz à l’Opéra, causent un vrai scandale, sinon dans Paris, qui ne s’indigne de rien, au moins dans le reste de l’Europe où le chef-d’œuvre de Weber est admiré.

On sait avec quel insolent dédain, vers la fin du siècle dernier, Mozart fut traité par les grands hommes qui