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régisseur. — Je ne demande pas mieux que de commencer, répondit le chef d’orchestre, mais il n’y pas de musique sur les pupitres. — Comment ! c’est incroyable ! Je vais la faire apporter. » Il appelle le chef du bureau de copie : « Ah ça ! placez donc la musique ! — Quelle musique ?… — Eh ! mon Dieu, celle de Linda di Chamouni. — Mais je n’en ai pas. On ne m’a jamais donné l’ordre de copier les parties d’orchestre de cet ouvrage. » Là-dessus, les musiciens de se lever avec de grands éclats de rire, et de demander la permission de se retirer, puisqu’on avait négligé pour cet opéra de se procurer la musique seulement… — Pardon, messieurs, laissez-moi m’interrompre un instant. Ce récit m’oppresse, m’humilie, éveille en moi des tristesses… D’ailleurs, écoutez ce délicieux air de danse qui se trouve égaré dans le fatras de votre ballet italien… — Oh ! oh ! à nous ! disent les violons en saisissant leur instrument, il faut jouer cela en maîtres ; c’est magistral ! » Et tout l’orchestre, en effet, exécute avec un ensemble, une expression, une délicatesse de nuances irréprochables, cet admirable andante où respire la voluptueuse poésie des féeries de l’Orient. A peine est-il fini que la plupart des musiciens se hâtent de quitter leur pupitre, laissant deux violons, une basse, les trombones et la grosse caisse fonctionner seuls, pour le reste du ballet. « Nous avions bien remarqué ce morceau, dit Winter, et nous comptions le jouer avec amour, c’est vous qui avez failli nous le faire manquer. — Mais d’où sort-il, de qui est-il, où l’avez-vous connu ? me dit Corsino. — Il sort de Paris ; je l’ai entendu dans le ballet de la Péri, dont la musique fut écrite par un artiste allemand, d’un mérite égal à sa modestie, et qui se nomme Burgmüller. — C’est bien beau ! C’est d’une langueur divine ! — Cela fait rêver des houris de Mahomet ! Cette musique, messieurs, est celle de l’entrée de la Péri. Si vous l’entendiez avec la mise en scène pour laquelle l’auteur l’écrivit, vous l’admireriez plus encore. C’est tout simplement un chef-d’œuvre. » Les musiciens sans s’être entendus pour cela, s’approchent de leurs pupitres et écrivent au crayon, sur la page des parties d’orchestre où se trouve l’andante, le nom de Burgmüller.