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vous paye pas pour compter des pauses. » Et tant et tant, que le pauvre noble orchestre, je le crains bien, finira par tomber dans le chagrin, puis dans une somnolence maladive, de là dans le marasme et la langueur, et enfin dans le médiocre, ce gouffre où l’Opéra pousse tout ce qui lui est soumis.

Les chœurs sont élevés, eux, d’une autre façon ; afin de n’avoir pas à leur appliquer le pénible système employé pour l’orchestre avec si peu de succès jusqu’à présent, l’Opéra cherche à remplacer ses anciens choristes par des choristes tout formés, c’est-à-dire tout médiocres. Mais ici il dépasse le but, car, au bout de très-peu de temps, ils deviennent pires et abandonnent ainsi la spécialité pour laquelle ils ont été engagés. De là les miraculeux charivaris qu’on entend fréquemment, dans les partitions de Meyerbeer surtout, et qui, seuls capables de tirer le public de sa léthargie, excitent ces cris de réprobation, ces gestes d’épouvante indignée dont l’effet n’est pas médiocre et devrait, au moins sous ce rapport, fortement déplaire à l’Opéra.

Et pourtant on l’a aujourd’hui complètement dompté, ce pauvre public, je vous l’ai déjà dit, on l’a maté ; il est soumis, timide et doux comme un charmant enfant. Autrefois, on lui donnait des chefs-d’œuvre entiers, des opéras dont tous les morceaux étaient beaux, dont les récitatifs étaient vrais, admirables, les airs de danse ravissants ; où rien ne brutalisait l’oreille, où la langue même était respectée, et il s’y ennuyait… On en vint alors aux grands moyens pour secouer sa somnolence, on lui donna des ut de poitrine de toute espèce, des grosses caisses, des tambours, des orgues, des musiques militaires, des trompettes antiques, des tubas grands comme des cheminées de locomotives, des cloches, des canons, des chevaux, des cardinaux sous un dais, des empereurs couverts d’or, des reines portant leur diadème, des pompes funèbres, des noces, des festins, et encore le dais, et toujours le fameux dais, le dais magnifique, le dais emplumé, empanaché et porté par quatre-z-officiers comme Malbrouck, des jongleurs, des patineurs, des enfants de chœur, des encensoirs, des ostensoirs, des croix, des bannières, des