Page:Berlioz - Les Soirées de l’orchestre, 1854.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée

frappez pas, ne frappez pas ! ce sont mes amis, ils sont venus me voir. On ne sait ce qu’il faut le plus admirer dans cette phrase mémorable, de l’élan de cœur qui en a suggéré la pensée, ou du génie qui a revêtu cette pensée d’une forme si belle et si poétique. Aussi des bourras frénétiques l’ont-ils accueillie. Le directeur de la ligne transatlantique, M. Colini, attendait Jenny au débarcadère, armé d’un immense bouquet. Un arc de triomphe en verdure s’élevait au milieu du quai, surmonté d’un aigle empaillé qui semblait l’attendre pour lui souhaiter la bienvenue. A minuit, l’orchestre de la Société philharmonique a donné à mademoiselle Lind une sérénade, et pendant deux heures l’illustre cantatrice a été obligée de rester à sa fenêtre, malgré la fraîcheur de la nuit. Le lendemain, M. Barnum, l’habile oiseleur qui a su mettre en cage pour quelques mois le rossignol suédois, l’a conduite au Muséum, dont il lui a montré toutes les curiosités, sans oublier un cacatoès ni un orang-outang ; et plaçant enfin un miroir devant les yeux de la déesse : Voici, madame, a-t-il dit avec une galanterie exquise, ce que nous avons ici en ce moment de plus rare et de plus ravissant à vous montrer ! A sa sortie du Muséum, un chœur de jeunes et belles filles vêtues de blanc s’est avancé au-devant de l’immortelle et lui a fait un virginal cortége, chantant des hymnes et semant des fleurs sur ses pas. Plus loin, une scène frappante et d’un genre tout neuf attendrit la célèbre promeneuse : les dauphins, les baleines, qui depuis plus de huit cents lieues (d’autres disent neuf cents) avaient pris part au triomphe de cette Galathée nouvelle et suivi son navire en lançant par leurs évents des gerbes d’eau de senteur, s’agitaient convulsivement dans le port, en proie au désespoir de ne pouvoir l’accompagner encore à terre ; des veaux marins, versant de grosses larmes, se livraient aux plus lamentables gémissements. Puis on a vu (spectacle plus doux pour son cœur) des mouettes, des frégates, des fous de mer, sauvages oiseaux qui habitent les vastes solitudes de l’Océan, plus heureux voltiger sans crainte autour de l’adorable, se poser sur ses épaules pures, planer au-