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— Pourquoi donc ? — Eh non ! c’est impossible ; vous êtes au milieu de ma première ligne, et vous me coupez. » — Je me hâtai, on peut le croire, de laisser le champ libre à ce grand tacticien.

Un autre étranger, méconnaissant les nécessités de la position, eût résisté à l’empereur et compromis ainsi le succès de ses combinaisons. De là cette opinion parfaitement motivée par une longue série d’observations savantes, opinion ouvertement professée par Auguste et par toute son armée : Le public ne sert à rien dans un théâtre ; non-seulement il ne sert à rien, mais il gâte tout. Tant qu’il y aura du public à l’Opéra, l’Opéra ne marchera pas. Les directeurs de ce temps-là le traitaient de fou, à l’énoncé de ces fières paroles. Grand Auguste ! Il ne se doutait pas que, peu d’années après sa mort, une justice si éclatante serait rendue à ses doctrines ! C’est le sort de tous les hommes de génie, d’être méconnus de leurs contemporains et exploités ensuite par leurs successeurs.

Non, jamais plus intelligent ni plus brave dispensateur de gloire ne trôna sous le lustre d’un théâtre.

En comparaison d’Auguste, celui qui règne maintenant à l’Opéra n’est qu’un Vespasien, un Claude. Il se nomme David. Aussi qui voudrait lui donner le titre d’empereur ? personne. C’est tout au plus si ses flatteurs osent l’appeler roi, à cause de son nom seulement.

Le chef illustre et savant des Romains de l’Opéra-Comique s’appelle Albert ; mais, comme pour son ancien homonyme, on dit en parlant de lui : Albert le Grand.

Il a, avant tous, mis en pratique l’audacieuse théorie d’Auguste, en excluant sans pitié le public des premières représentations. Ces jours-là, maintenant, si l’on en excepte les critiques, qui, pour la plupart, appartiennent encore d’une ou d’autre façon viris illustribus urbis Romæ, du haut jusques en bas la salle n’est remplie que de claqueurs.

C’est à Albert le Grand que l’on doit la coutume touchante de rappeler à la fin de chaque pièce nouvelle tous les acteurs. Le roi David l’a promptement imité en ceci ; et, enhardi par le succès de ce premier perfectionnement, il y a joint celui de