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Si le malheur veut qu’il soit un grand pianiste : « Musique de pianiste ! » s’écrie-t-on avec effroi. Et tout est dit, et voilà notre homme à demi écrasé par un préjugé contre lequel il aura à lutter pendant longues années. Comme si un grand talent d’exécution impliquait nécessairement l’incapacité de composition, et comme si Sébastien Bach, Beethoven, Mozart, Weber, Meyerbeer, Mendelssohn et d’autres n’ont pas été à la fois de grands compositeurs et de grands virtuoses.

Si un musicien a commencé par écrire une symphonie, et si cette symphonie a fait sensation, le voilà classé ou plutôt parqué : c’est un symphoniste, il ne doit songer à produire que des symphonies, il doit s’abstenir du théâtre, pour lequel il n’est point fait ; il ne doit pas savoir écrire pour les voix, etc., etc. Bien plus, tout ce qu’il fait ensuite est appelé par les gens à préjugés, symphonie ; les mots, pour parler de lui, sont détournés de leur acception. Ce qui, produit par tout autre, serait appelé de son vrai nom de cantate, est, sortant de sa plume, nommé symphonie ; un oratoire, symphonie ; un chœur sans accompagnement, symphonie ; une messe, symphonie. Tout est symphonie venant d’un symphoniste.

Il eût échappé à cet inconvénient si sa première symphonie eût passé inaperçue, si c’eût été une platitude ; il eût même alors rencontré chez plus d’un directeur de théâtre un préjugé en sa faveur : « Celui-ci, eût-on dit, n’a pas réussi dans la musique de concert, il doit réussir au théâtre. Il ne sait pas tirer parti des instru-