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le farouche critique sous la griffe duquel vous avez le malheur de tomber ? Ah ! il faut prendre bien garde à celui-là. C’est un capricieux, un entêté, il a des manies musicales terribles, des idées à lui, c’est un hérisson, on ne sait par quel bout le prendre. Si vous voulez lui faire une politesse, il se fâche. Si vous lui faites une impolitesse, il se fâche encore. Si vous allez le voir, vous l’ennuyez ; si vous n’y allez pas, il vous trouve dédaigneuse ; si vous l’invitez à dîner la veille de votre début, il vous répond que « lui aussi, ce jour-là, il donne un dîner d’affaires. » Si vous lui proposez de chanter une de ses romances (car il fait des romances), et c’est pourtant fin et délicat, cela, c’est une charmante séduction, essentiellement artiste et musicale, il vous rit au nez et vous offre de chanter lui-même les vôtres quand vous en composerez. Ah ! faites attention à ce méchant homme et à quelques autres encore, ou vous êtes perdue. » — Et la pauvre débutante aux cent mille francs commence à éprouver cent mille terreurs.

Elle court chez ce calomnié.

Le monsieur la reçoit assez froidement.

« — Il n’y a que deux mois qu’on annonce votre début, mademoiselle, en conséquence vous avez encore au moins six semaines d’épreuves à subir avant de faire votre première apparition.

— Six semaines, monsieur !…

— Ou sept ou huit. Mais enfin ces épreuves finiront. Dans quel ouvrage débutez-vous ? »