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fait ! Oh ! il n’est que trop vrai, Shakespeare a opéré en moi une révolution qui a bouleversé tout mon être. Moore, avec ses douloureuses mélodies, est venu achever l’ouvrage de l’auteur d’Hamlet. Ainsi le zéphyr, soupirant sur les ruines d’un temple renversé par une secousse volcanique les couvre peu à peu de sable et en efface enfin jusqu’au dernier débris.

Et pourtant j’y reviens sans cesse ; je me suis laissé fasciner par le terrible génie…… Comme c’est beau, vrai et pénétrant, ce discours royal, dévoilant au jeune Hamlet le crime qui l’a privé de son père ! Il m’a toujours semblé que ce morceau pourrait être le sujet d’une composition musicale pleine d’un grand et sombre caractère. Je n’y suis que trop bien disposé en ce moment… Déjà je sens se mettre en jeu, malgré la singulière faculté dont je suis doué, de penser la musique si fortement que j’aie pour ainsi dire à mes ordres des exécutans imaginaires qui m’émeuvent comme si je les entendais en réalité. Souvent c’est l’effet de la réflexion ; quelquefois, de mon imagination enflammée ; l’orchestre idéal part alors comme la foudre, sans qu’il me soit possible de régler ses mouvements. (Il médite.) Ici… oui… il faut une instrumentation sourde… une harmonie large et sinistre… une lugubre mélodie… un chœur sans harmonie, par octave… en langue étrangère, semblable à une grande voix émanée d’un monde inconnu, incompréhensible pour nous.