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le demandait pour diriger la Damnation de Faust. Berlioz accéda aux désirs de M. Herbeek et n’eut pas à s’en repentir. D’autres propositions magnifiques l’attirèrent chez la grande-duchesse Hélène de Russie, qui le logea dans son propre palais, à Saint-Pétersbourg, et ne lui permit de partir que comblé de distinctions, de gloire et d’argent.

En revenant des bords de la Néva, Berlioz éprouvait une grande fatigue ; sa maladie nerveuse empirait. Il était allé trouver le célèbre docteur Nélaton, qui, après l’avoir ausculté, palpé, interrogé, lui avait dit : « Êtes-vous philosophe ? — Oui, avait répondu le patient. — Eh bien, puisez du courage dans la philosophie, car vous ne guérirez jamais[1]. » Assuré de mourir dans un assez bref délai et en proie à des tortures épouvantables, le vieux maître se décida à changer de lit de souffrances. — « Je vais m’étendre sur les gradins de marbre de Monaco… Le soleil me réchauffera peut-être… Oh ! la belle Méditerranée et les orangers aux doux parfums !… » Telles étaient ses pensées — nous allions dire ses rêves — en prenant le chemin de fer. On l’accueille à l’hôtel des Étrangers de Nice comme une ancienne connaissance, on l’accable de témoignages de respect et de sympathie. Des bouffées de jeunesse lui remontent au cerveau ; il se rappelle sans doute cette tour crevassée, pleine de rats et de chats-huants, ouverte à tous les vents du ciel, dénudée, romantique, dont il avait fait autrefois son domicile légal. Il veut se promener encore dans ces jardins embaumés, sur ces falaises qui contrastent par leur immobile blancheur avec l’azur des vagues. Le voilà à Monaco, près des buissons de cactus, s’enivrant des senteurs d’une végétation presque orientale. Mais son regard se

  1. Anecdote racontée par Berlioz lui-même à l’auteur de cette biographie.