Page:Berlioz - Correspondance inédite, 1879, 2e éd. Bernard.djvu/41

Cette page n’a pas encore été corrigée

n’avait pas donné signe de vie, avait disparu de son domicile et on ignorait où il était allé. La mère et la sœur de miss Harriett faisaient, comme on pense bien, une opposition formidable aux projets des deux amants ; la famille de la Côte-Saint-André ne voulait pas davantage de ce mariage. Pour comble d’infortune, la malheureuse Ophélie se ruina et se cassa la jambe en descendant d’un cabriolet. Quoique les ressources pécuniaires d’Hector fussent des plus minces à ce moment-là, il ne balança plus à accomplir son dessein. Si mademoiselle Smithson était restée riche et célèbre, il aurait peut-être renoncé à ses projets ; pauvre et malade, il n’hésita plus : il l’épousa.

Ces premières années de mariage furent tout à la fois pénibles et charmantes. Le nouveau ménage, dont le budget, pour commencer, s’élevait à trois cents francs de capital[1], se fixa dans les quartiers les plus divers, tantôt rue Neuve-Saint-Marc, tantôt à Montmartre, dans une rue Saint-Denis dont il nous a été impossible de retrouver la trace. Liszt demeurait rue de Provence et rendait souvent visite aux jeunes époux ; on passait ensemble des soirées, pendant lesquelles l’admirable pianiste exécutait des sonates de Beethoven dans l’obscurité, afin que l’impression produite fut plus forte. Aussi, comme Berlioz défendait son ami dans les journaux où il avait l’habitude d’écrire, — dans le Correspondant, la Revue européenne, le Courrier d’Europe, et enfin les Débats ; comme il se fâchait quand les Parisiens volages essayaient d’opposer Thalberg à son rival ; une lionne montrant les dents n’est pas plus redoutable ! Gare à qui s’avisait de dire que Liszt n’était pas le premier pianiste des temps passés, présents et futurs ! Et ce qu’il donnait comme un axiome musical indiscutable, le critique le pensait ; car il n’aurait jamais

  1. Mémoires, p. 190, et lettres à son fils.