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Madame X…, qui est venue me voir avant-hier, m’avouait naïvement et tristement qu’elle n’avait jamais ni vu ni lu la Vestale de Spontini.

Une artiste pareille qui a passé sa vie dans le monde musical et théâtral, s’être trouvée, par hasard, partout où cette lumière du génie ne brillait pas !… N’y a-t-il pas là de quoi révolter contre le sort des chefs-d’œuvre ! Il est vrai qu’elle a été élevée au milieu de la boutique des épiciers italiens !… Mais cette éducation coloniale ne l’a pas empêchée de faire connaissance plus tard avec Mozart, Haydn, Beethoven, Gluck, et de s’éprendre même pour la lourde face emperruquée de ce tonneau de porc et de bière qu’on nomme Haendel !…

Ainsi me voilà à la tête d’un acte et demi de partition terminée. Avec du temps, le reste de la stalactite se formera peut-être bien, si la voûte de la grotte ne s’écroule pas…

Nous serons bien heureux de vous voir revenir à Paris, ne fût-ce que pour quelques semaines… Réalisez votre plan de concert, je serai probablement assez fort dans un mois pour pouvoir le diriger, et cela me réchauffera un peu.

Il est heureux que ma lettre touche à sa fin ;… le pâle rayon de soleil qui éclairait ma fenêtre quand j’ai commencé à vous écrire, s’éteint, et je ne me sens plus que du froid au cœur, et je vois tout en gris, et je vais m’étendre sur mon canapé et y fermer les yeux de l’esprit et du corps pour ne rien voir et demeurer stupide comme un arbre sans feuilles et ruisselant de pluie.

P.-S. — Rue de Calais (encore une fois, et non de Douai), no 4.