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LXXIV.

À RICHARD WAGNER.


Paris, 10 septembre 1855.

Mon cher Wagner,

Votre lettre m’a fait un bien grand plaisir. Vous n’avez pas tort de déplorer mon ignorance de la langue allemande, et ce que vous me dites de l’impossibilité où je suis d’apprécier vos ouvrages, je me le suis dit bien des fois. La fleur de l’expression se fane presque toujours sous le poids de la traduction, si délicatement que cette traduction soit faite. Il y a des accents, dans la musique vraie, qui veulent leur mot spécial, il y a des mots qui veulent leur accent. Séparer les uns des autres, ou leur donner des approximatifs, c’est faire allaiter un petit chien par une chèvre et réciproquement. Mais que voulez-vous ! j’ai une difficulté diabolique à apprendre les langues ; c’est à peine si je sais quelques mots d’anglais et d’italien…

Vous êtes donc en train de faire fondre les glacières en composant vos Niebelungen !… Cela doit être superbe, d’écrire ainsi en présence de la grande nature !… Voilà encore une jouissance qui m’est refusée ! Les beaux paysages, les hautes cimes, les grands aspects de la mer, m’absorbent complétement au lieu de provoquer chez moi la manifestation de la pensée. Je sens alors et ne saurais exprimer. Je ne puis dessiner la lune qu’en regardant son image au fond d’un puits.