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table, en levant ses jambes et en les laissant retomber sur un parquet, frappe tant de coups pour un ut, tant pour un , tant pour un fa, tant pour une simple croche, tant pour une double croche, tant pour un soupir, pour un demi-soupir, etc., etc. Je sais ce qu’on va me répondre : « Il est convenu, direz-vous ? Convenu avec qui ? avec les esprits évidemment. Or, avant que cette convention fût établie, comment s’y est pris le premier médium pour savoir des esprits qu’on en convenait ? » Je ne puis vous le dire ; ce qu’il y a de sûr, c’est que c’est sûr ; et puis, dans ces grandes questions, il faut absolument se laisser guider par le sens intérieur, et surtout ne pas chercher la petite bête.

Or donc déjà (comme disent les Russes) on a évoqué dernièrement l’esprit de Beethoven, qui habite Saturne. Mozart habitant Jupiter, c’est connu de tout le monde, il semble que l’auteur de Fidelio eût dû choisir le même astre pour sa nouvelle résidence ; mais Beethoven, on ne l’ignore pas, est un peu sauvage, capricieux, peut-être même a-t-il quelque antipathie non avouée pour Mozart. Tant il y a qu’il habite Saturne ou du moins son anneau. Et voilà que lundi dernier un médium très-familier avec le grand homme, et sans craindre de mettre celui-ci de mauvaise humeur, en lui faisant faire à propos de rien un si long voyage, pose les mains sur sa table de sapin pour envoyer à Beethoven, dans l’anneau de Saturne, l’ordre de venir un instant causer avec lui. La table aussitôt de faire des mouvements indécents, de lever les jambes, et de montrer… que l’esprit était proche. Ces pauvres esprits, avouez-le, sont bien obéissants. Beethoven, pendant sa vie terrestre, ne se fût pas dérangé pour aller seulement de la porte de Carinthie au palais impérial, si l’empereur d’Autriche l’eût fait prier de le venir voir, et il quitte maintenant l’anneau de Saturne et interrompt ses hautes contemplations pour obéir à l’ordre (notez-le bien), à l’ordre du premier venu, possesseur d’une table de sapin.