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pourtant que je ne croyais rien ; mais à cette heure, j’en suis sûr, me voilà fixé, et je crois au beau absolu beaucoup moins qu’à la corne des licornes. Car pourquoi, je vous prie, ne pas croire à la corne des licornes ? Il est archiprouvé maintenant qu’il y a des licornes dans plusieurs parties de l’Himalaya. On connaît l’aventure de M. Kingsdoom. — Le célèbre voyageur anglais, étonné de rencontrer un de ces animaux, qu’il croyait fabuleux (voilà ce que c’est que de croire !), et le regardant avec une attention blessante pour l’élégant quadrupède, la licorne irritée se précipita sur lui, le cloua contre un arbre et lui laissa dans la poitrine un long morceau de corne pour preuve de son existence. Le malheureux Anglais ne pouvait pas en revenir.

Maintenant il faut dire pourquoi je suis certain de croire depuis peu que je ne crois pas au beau absolu en musique. Une révolution a dû s’opérer et s’est opérée réellement dans la philosophie depuis la merveilleuse découverte des tables tournantes (en sapin), et par suite des médiums, et par suite des évocations d’esprits, et par suite des conversations spiritistes. La musique ne pouvait pas rester en dehors de l’influence d’un fait aussi considérable et demeurer isolée du monde des esprits, elle, la science de l’impalpable, de l’impondérable, de l’insaisissable. Beaucoup de musiciens se sont donc mis en rapport avec le monde des esprits (ils auraient dû le faire depuis longtemps). Au moyen d’une table de sapin d’un prix fort modique, sur laquelle on impose les mains, et qui, après quelques minutes de réflexions (de réflexions de la table), se met à lever une ou deux de ses jambes, de façon, malheureusement, à effaroucher la pudeur des dames anglaises, on parvient non-seulement à évoquer l’esprit d’un grand compositeur, mais à entrer même en conversation réglée avec lui, à le forcer de répondre à toutes sortes de questions. Bien plus, en s’y prenant bien, on peut obliger l’esprit du grand maître à dicter une nouvelle œuvre, une composition tout entière sortant brûlante de son cerveau. Comme pour les lettres de l’alphabet, il est convenu que la