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sans cabalette, sans éclat de voix ; aussi le parterre garde encore à leur égard un rigoureux silence. Voyez le malheur !

Le trio suivant est plus heureux ; on l’applaudit, bien qu’il ait aussi une terminaison douce. Les trois personnages, animés de sentiments affectueux, y chantent de suaves mélodies, que les plus harmonieux accompagnements soutiennent sans recherche et sans effort. Rien de plus élégant et de plus touchant à la fois que ce beau thème de vingt mesures exposé par le ténor. C’est le chant dans sa plus exquise pureté, c’est l’expression dans ce qu’elle a de plus vrai, de plus simple et de plus pénétrant. Ce thème est ensuite repris, tantôt en entier, tantôt par fragments, et, après des modulations très-hardies, ramené dans le ton primitif avec un bonheur et une adresse incomparables.

Le quatuor du pistolet est un long roulement de tonnerre, dont la menace augmente sans cesse de violence et aboutit à une série d’explosions. À partir du cri de Fidelio : « Je suis sa femme ! » l’intérêt musical se confond avec l’intérêt dramatique ; on est ému, entraîné, bouleversé, sans qu’on puisse distinguer si cette violente émotion est due aux voix, aux instruments ou à la pantomime des acteurs et au mouvement de la scène ; tant le compositeur s’est identifié avec la situation qu’il a peinte avec une vérité frappante et la plus prodigieuse énergie. Les voix, qui s’interpellent et se répondent en brûlantes apostrophes, se distinguent toujours au milieu du tumulte de l’orchestre et au travers de ce trait des instruments à cordes, semblable aux vociférations d’une foule agitée de mille passions. C’est un miracle de musique dramatique auquel je ne connais de pendant chez aucun maître ancien ou moderne. Le changement du livret a fait un tort énorme et bien regrettable à cette belle scène. L’action ayant été transportée à une époque où le pistolet n’était pas inventé, on a dû renoncer à le donner à Fidelio pour arme offensive ; la jeune femme menace maintenant Pizarre avec un levier de fer, incomparablement moins