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est plus forte, plus grandiose et d’une expression incomparablement plus pénétrante. On sent, dès les premières mesures, que le malheureux enfermé dans cette prison a dû, en y entrant, laisser toute espérance.

Le voici. À un douloureux récitatif entrecoupé par les phrases principales de la symphonie précédente succède un cantabile désolé, navrant, dont l’accompagnement des instruments à vent accroît à chaque instant la tristesse. La douleur du prisonnier devient de plus en plus intense. Sa tête s’égare… l’aile de la mort l’a touché… Pris d’une hallucination soudaine, il se croit libre, il sourit, des larmes de tendresse roulent dans ses yeux mourants, il croit revoir sa femme, il l’appelle, elle lui répond ; il est ivre de liberté et d’amour…

À d’autres de décrire cette mélodie sanglotante, ces palpitations de l’orchestre, ce chant continu du hautbois qui suit le chant de Florestan comme la voix de l’épouse adorée qu’il croit entendre ; et ce crescendo entraînant, et le dernier cri du moribond… Je ne le puis…

Reconnaissons ici l’art souverain, l’inspiration brûlante, le vol fulgurant du génie…

Florestan, après cet accès d’agitation fébrile, est retombé sur sa couche ; voici venir Rocko et la tremblante Éléonore (Fidelio). La terreur de cette scène est amoindrie par le nouveau libretto, où il ne s’agit que de déblayer une citerne au lieu de creuser la fosse du prisonnier encore vivant. (Vous voyez où conduisent tous ces remaniements…)

Rien de plus sinistre que ce duo célèbre, où la froide insensibilité de Rocko contraste avec les aparté déchirants de Fidelio, où le sourd murmure de l’orchestre est comparable au bruit mat de la terre tombant sur une bière qu’on recouvre. Un de nos confrères de la critique musicale a très-justement établi un rapprochement entre ce morceau et la scène des fossoyeurs d’Hamlet. Pouvait-on plus dignement le louer ?

Les fossoyeurs de Beethoven terminent leur duo sans coda,