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les parties vocales à l’orchestre ? » Pourquoi ! parce que c’eût été une maladresse évidente ; les voix chantent précisément comme elles doivent chanter ; une note de plus, confiée aux parties vocales, en altérerait l’expression si juste, si vraie, si profondément sentie ; le dessin instrumental n’est qu’une idée secondaire, tout mélodieux qu’il soit, et convient surtout aux instruments à vent, et fait on ne peut mieux ressortir la douceur des harmonies vocales si ingénieusement disposées au dessus de l’orchestre. Il ne se trouvera pas, je crois, un compositeur de bon sens, quelle que soit l’école à laquelle il appartienne, pour désapprouver ici l’idée de Beethoven.

Le bonheur des prisonniers est un instant troublé par l’apparition des gardes chargés de les surveiller. Aussitôt le coloris musical change : tout devient terne et sourd. Mais les gardes ont fini leur ronde ; leur regard soupçonneux a cessé de peser sur les prisonniers ; la tonalité du passage épisodique du chœur se rapproche de la tonalité principale ; on la pressent, on y touche ; un court silence… et le premier thème reparaît dans le ton primitif, avec un naturel et un charme dont je n’essayerai pas de donner une idée. C’est la lumière, c’est l’air, c’est la douce liberté, c’est la vie qui nous sont rendus.

Quelques auditeurs, en essuyant leurs yeux à la fin de ce chœur, s’indignent du silence de la salle qui devrait retentir d’une immense acclamation. Il est possible que la majeure partie du public soit réellement émue néanmoins ; certaines beautés musicales, évidentes pour tous, peuvent fort bien ne pas exciter les applaudissements.

Le chœur des prisonniers de Gaveaux :

Que ce beau ciel, cette verdure,

est écrit dans le même sentiment. Mais, hélas ! comparé à celui de Beethoven, il paraît bien terne et bien plat ! Remarquons, en outre, que le compositeur français, fort réservé sur l’emploi