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tendre, et laisse passer près d’elle sans presque détourner la tête, comme s’il ne s’agissait que d’une chose médiocre ou commune. Oh ! c’est affreux de se dire, et cela avec une certitude impitoyable : Ce que je trouve beau est le beau pour moi, mais il ne le sera peut-être pas pour mon meilleur ami ; celui dont les sympathies sont ordinairement les miennes sera affecté d’une tout autre manière ; il se peut que l’œuvre qui me transporte, qui me donne la fièvre, qui m’arrache des larmes, le laisse froid, ou même lui déplaise, l’impatiente…

La plupart des grands poëtes ne sentent pas la musique ou ne goûtent que les mélodies triviales et puériles ; beaucoup de grands esprits, qui croient l’aimer, ne se doutent même pas des émotions qu’elle fait naître. Ce sont de tristes vérités, mais ce sont des vérités palpables, évidentes, que l’entêtement de certains systèmes peut seul empêcher de reconnaître. J’ai vu une chienne qui hurlait de plaisir en entendant la tierce majeure tenue en double corde sur le violon, elle a fait des petits sur qui la tierce, ni la quinte, ni la sixte, ni l’octave, ni aucun accord consonnant ou dissonant, n’ont jamais produit la moindre impression. Le public, de quelque manière qu’il soit composé, est toujours, à l’égard des grandes conceptions musicales, comme cette chienne et ses chiens. Il a certains nerfs qui vibrent à certaines résonnances, mais cette organisation, tout incomplète qu’elle soit, étant inégalement répartie et modifiée à l’infini, il s’ensuit qu’il y a presque folie à compter sur tels moyens de l’art plutôt que sur tels autres, pour agir sur lui ; et que le compositeur n’a rien de mieux à faire que d’obéir aveuglément à son sentiment propre, en se résignant d’avance à toutes les chances du hasard. Je sors du Conservatoire avec trois ou quatre dilettanti, un jour où l’on vient d’exécuter la symphonie avec chœurs.

— Comment trouvez-vous cet ouvrage ? me dit l’un d’eux.

— Immense ! magnifique ! écrasant !