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parmi les harmonies qui jaillissent au loin, ce long cri douloureux qui s’élève… Il semble sortir de ma poitrine… Vois ces splendeurs du ciel, vois toutes ces lumières brillantes, ne dirait-on pas que les fées ont illuminé leur palais pour y fêter notre amour ?… » Et Juliette palpitante ne répond que par des larmes. Et le vrai grand amour est né, immense, inexprimable, armé de toutes les puissances de l’imagination, du cœur et des sens. Roméo et Juliette, qui existaient seulement, vivent aujourd’hui, ils s’aiment…

Shakspeare ! Father !


Et quand on connaît le merveilleux poëme écrit en caractères de flamme, et qu’on lui compare tant de grotesques libretti appelés opéras, qu’on en a tirés, froides rapsodies écrites avec les sucs du concombre et du nénufar, il faut dire :

Shakspeare ! God !


et songer que l’outrage ne peut l’atteindre.

Des cinq opéras dont j’ai parlé en commençant, le Roméo de Steibelt, représenté pour la première fois sur le théâtre Feydeau, le 10 septembre 1793, est immensément supérieur aux autres. C’est une partition, cela existe ; il y a du style, du sentiment, de l’invention, des nouveautés d’harmonie et d’instrumentation même fort remarquables, et qui durent paraître à cette époque de véritables hardiesses. Il y a une ouverture bien dessinée, pleine d’accents pathétiques et énergiques, savamment traitée, un très-bel air précédé d’un beau récitatif :

Du calme de la nuit tout ressent les doux charmes,


dont l’andante est d’un tour mélodique expressif et distingué, et que l’auteur a eu l’incroyable audace de finir sur la troisième note du ton sans rabâcher la cadence finale, ainsi que la plupart de ses contemporains.

Cet air a pour sujet la seconde scène du troisième acte du