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durant de longues années pour une Rosaline séparée de leur âme par des abîmes dont ils ne voulaient pas voir la profondeur !… Combien d’entre eux ont dit à un ami : « Je me cherche et ne me trouve plus ; ce n’est pas Roméo que tu vois, il est ailleurs. Adieu, tu ne saurais m’apprendre le secret d’oublier ! » Combien de fois l’amoureux de Rosaline entend-il Mercutio lui dire : « Viens, nous saurons bien te tirer de ce bourbier d’amour, » et répond-il par un sourire d’incrédulité au joyeux philosophe, qui s’éloigne fatigué de la tristesse de Roméo, en disant : « Cette Rosaline au visage pâle et au cœur de marbre le tourmente à tel point qu’il en deviendra fou. » Jusqu’au moment où, parmi les splendeurs de la fête donnée par le riche Capulet, il aperçoit Juliette, et à peine a-t-il entendu quelques mots de cette voix émue, qu’il reconnaît l’être tant cherché, que son cœur bondit et se dilate en aspirant la poétique flamme, et que l’image de Rosaline s’évanouit comme un spectre au lever du soleil. Et après la fête, errant à l’entour de la maison de Capulet, en proie à une angoisse divine, pressentant l’immense révolution qui va s’opérer en lui, il entend l’aveu de la noble fille, il tremble d’étonnement et de joie ; et alors commence l’immortel dialogue digne des anges du ciel :

juliette.

Je t’ai donné mon cœur avant que tu me l’aies demandé, et je voudrais qu’il fût encore à donner.

roméo.

Pour me le refuser ? Est-ce pour cela, mon amour ?

juliette.

Non, pour être franche avec toi et te le donner de nouveau…

roméo.

Ô nuit fortunée ! nuit divine ! j’ai peur que tout ceci ne soit qu’un rêve ; je n’ose croire à la réalité de tant de bonheur !

Mais il faut se quitter, et le cœur de Roméo sent l’étreinte d’une douleur intense, et il dit à l’aimée : « Je ne conçois pas qu’on puisse nous séparer, j’ai peine à comprendre que je doive te quitter, même pour quelques heures seulement. Entends,