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parterre, et rient même, les malheureux ! de l’ardeur de ces savants applaudissements. On a beau leur dire : C’est du Sophocle ! Ils restent immobiles comme des collines ou folâtrent autour du succès comme des agneaux.

Et ce sont ces folâtreries surtout qui sont à craindre. J’aimerais mieux, si j’étais un Sophocle, voir le mont Athos rester ferme et froid devant moi, sourd à toutes mes conjurations, qu’être le centre des rondes joyeuses d’un troupeau d’agneaux parisiens. Que serait-ce s’il s’agissait des béliers et des boucs ?… Il n’y a donc, pour dédommager de tant de soins les artistes qui produisent sans songer au prix commercial de leur œuvre, que la satisfaction intime de leur conscience et leur joie profonde en mesurant l’espace qu’ils ont parcouru sur la route du beau. Celui-là fait des centaines de kilomètres et tombe au moment où il croit obtenir le prix ; celui-ci avance davantage sans arriver (car l’idéal ne saurait être atteint), cet autre s’avance moins ; mais tous progressent cependant, et tous préfèrent ce progrès tel quel sous le soleil, et la soif et la fatigue qu’il cause, aux frais abris ouverts, aux boissons enivrantes versées par la popularité, pour les coureurs insoucieux du but inaccessible et qui lui tournent le dos  ............

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Ajoutons une assez triste observation au sujet de l’indifférence actuelle du public élégant, je ne dirai pas pour l’art, mais pour les entreprises les plus sérieuses du théâtre de l’Opéra. Pas plus à la première qu’à la centième représentation d’un ouvrage, pas plus à huit heures qu’à sept, les propriétaires des premières loges ne sont à leur poste. La curiosité même, ce vulgaire sentiment si puissant sur la plupart des esprits, est impuissante à les entraîner aujourd’hui. L’affiche annoncerait pour le premier acte d’un opéra nouveau un trio chanté par l’ange Gabriel, l’archange Michel et sainte Madeleine en personne, que l’affiche aurait tort, et la sainte et les deux