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À TRAVERS CHANTS

« Tout est bon d’ailleurs, ou tout est mauvais, suivant l’usage qu’on en fait et la raison qui en amène l’usage.

« Dans son union avec le drame, ou seulement avec la parole chantée, la musique doit toujours être en rapport direct avec le sentiment exprimé par la parole, avec le caractère du personnage qui chante, souvent même avec l’accent et les inflexions vocales que l’on sent devoir être les plus naturels du langage parlé.

« Les opéras ne doivent pas être écrits pour des chanteurs ; les chanteurs, au contraire, doivent être formés pour les opéras.

« Les œuvres écrites uniquement pour faire briller les talents de certains virtuoses ne peuvent être que des compositions d’un ordre secondaire et d’assez peu de valeur.

« Les exécutants ne sont que des instruments plus ou moins intelligents destinés à mettre en lumière la forme et le sens intime des œuvres : leur despotisme est fini ;

« Le maître reste le maître ; c’est à lui de commander.

« Le son et la sonorité sont au-dessous de l’idée.

« L’idée est au-dessous du sentiment et de la passion.

« Les longues vocalisations rapides, les ornements du chant, le trille vocal, une multitude de rhythmes, sont inconciliables avec l’expression de la plupart des sentiments sérieux, nobles et profonds.

« Il est en conséquence insensé d’écrire pour un Kyrie eleison (la prière la plus humble de l’Église catholique) des traits qui ressemblent à s’y méprendre aux vociférations d’une troupe d’ivrognes attablés dans un cabaret.

« Il ne l’est peut-être pas moins d’appliquer la même musique à une invocation à Baal par des idolâtres et à la prière adressée à Jehovah par les enfants d’Israël.

« Il est plus odieux encore de prendre une créature idéale, fille du plus grand des poëtes, un ange de pureté et d’amour, et de la faire chanter comme une fille de joie, etc., etc.

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