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À TRAVERS CHANTS

une série de notes aiguës, vocalisées, piquées, caquetantes, sautillantes, qui n’ont pas même le mérite de faire applaudir la cantatrice. S’il y avait jamais eu quelque part en Europe un public vraiment intelligent et sensible, ce crime (car c’en est un) ne fût pas demeuré impuni, et le coupable allegro ne serait pas resté dans la partition de Mozart.

Je pourrais citer une multitude d’exemples semblables pour prouver qu’à de très-rares exceptions près on juge la musique par prévention seulement et sous l’empire des plus déplorables préjugés.

Ce sera mon excuse pour la liberté que je vais prendre de parler de Richard Wagner d’après mon sentiment personnel et sans tenir aucun compte des diverses opinions émises à son sujet.

Il a osé composer le programme de sa première soirée exclusivement de morceaux d’ensemble, chœurs ou symphonies. C’était déjà un défi jeté aux habitudes de notre public, qui, sous prétexte d’aimer la variété, se montre toujours prêt à manifester le plus bruyant enthousiasme pour une chansonnette bien dite, pour une fade cavatine bien vocalisée, pour un solo de violon bien dansé sur la quatrième corde, ou pour des variations bien sifflotées sur quelque instrument à vent, après avoir fait un accueil honnête, mais froid, à quelque grande œuvre de génie. Ce public-là pense que le roi et le berger sont égaux pendant leur vie.

Rien de tel que de faire hardiment les choses faisables. Wagner vient de le prouver ; son programme, dépourvu des sucreries qui allèchent les enfants de tout âge dans les festins musicaux, n’en a pas moins été écouté avec une attention constante et un très-vif intérêt.

Il commençait par l’ouverture du Vaisseau-Fantôme, opéra en deux actes, que je vis représenter à Dresde, sous la direction de l’auteur, en 1841, et dans lequel madame Schrœder-Devrient remplissait le principal rôle. Ce morceau me fit alors l’impres-